Pour ce qui est de la délinquance juvénile, la difficulté fondamentale réside dans le programme autrefois d’apparence humanitaire qui consistait à interdire tout travail aux enfants.
Il n’y a pas de doute qu’on ait autrefois abusé du travail des enfants qu’on forçait à travailler trop dur, dont on empêchait la croissance et, d’une manière générale, qu’on exploitait.
Là où il y a eu des abus dans ce domaine, la population s’en est indignée et des lois ont été promulguées pour interdire le travail des enfants.
Interdire aux enfants de travailler, et plus particulièrement interdire aux adolescents de se frayer un chemin dans le monde et de gagner leur propre argent, engendre de gros problèmes familiaux qui rendent presque impossible d’élever une famille. Cela engendre également, particulièrement chez les adolescents, un état d’esprit tel qu’ils en viennent à penser que le monde ne veut pas d’eux et qu’ils ont déjà perdu le jeu de leur vie avant même d’avoir pu y goûter. De plus, avec le service militaire obligatoire qui les attend, si bien qu’ils n’osent guère entamer une carrière, ils se retrouvent naturellement plongés dans un état de sous-apathie (un état d’extrême indifférence encore plus bas que l’apathie) sur le sujet du travail. Enfin, lorsqu’ils se trouvent confrontés à la nécessité de se faire une place dans le monde, ils remontent jusqu’à l’apathie et ne font tout simplement rien du tout à ce sujet.
Il suffit pour s’en convaincre de voir à quel âge ont commencé à travailler nos citoyens les plus remarquables. En général, ils ont commencé à travailler très jeunes. Dans la civilisation anglo-américaine, ceux qui ont développé le plus grand niveau d’ardeur à la tâche sont des garçons qui, à l’âge de douze ans déjà, alors qu’ils vivaient dans des fermes, étaient chargés de responsabilités et occupaient une place à part entière dans la société.
Les enfants sont, en général, très désireux de travailler. Il est fréquent de voir le bambin de deux, trois ou quatre ans accroché aux basques de son père ou aux jupons de sa mère pour tenter de les aider avec des outils ou un chiffon à poussière. Et le père ou la mère qui aime vraiment son enfant réagit de la façon raisonnable – et depuis longtemps acceptée comme normale – qui consiste à faire preuve de suffisamment de patience pour laisser son enfant contribuer.
L’enfant que l’on a perverti et poussé dans une profession donnée, mais auquel on n’a pas permis de contribuer dans ses jeunes années, est convaincu qu’on ne veut pas de lui, qu’il n’a pas sa place dans le monde. Plus tard, le travail lui posera de gros problèmes. Mais dans notre société moderne, on décourage et on empêche l’enfant de trois ou quatre ans qui veut travailler puis, après avoir fait de lui un oisif jusqu’à l’âge de sept, huit ou neuf ans, on l’oblige soudainement à faire des corvées.
Cet enfant a été élevé dans l’idée qu’il ne devait pas travailler ; par conséquent, l’idée du travail est un domaine dans lequel il « sait qu’il n’a pas sa place », aussi se trouve-t-il toujours mal à l’aise quand il se livre à des activités variées.
Plus tard, adolescent, on lui interdit activement l’accès à tout genre d’emploi qui lui permettrait de s’acheter des vêtements et d’offrir à ses amis les petits cadeaux qui lui semblent si importants. Il commence donc à penser qu’il ne fait pas partie de la société. Cela étant, il s’y oppose alors et ne désire plus que des activités destructrices.
(1818-1883) théoricien du socialisme et révolutionnaire allemand dont les ouvrages forment la base du communisme du vingtième siècle ; il considérait que la société était en conflit entre les capitalistes et les travailleurs. Il accusait les capitalistes de payer insuffisamment les travailleurs, de les faire travailler de longues heures dans de mauvaises conditions et d’exploiter les enfants.